Une filière structurée avec une société savante en Allemagne

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Publié le 16/01/2020
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Très ouverts aux médecines alternatives, les Allemands sont nombreux à pratiquer des cures de jeûne avec l’aide d’un médecin ou d’un autre professionnel de santé. Le jeûne peut se réaliser en clinique lors de séjours dédiés ou en ambulatoire avec un suivi assuré par des médecins libéraux. Ces jeûnes peuvent être partiellement pris en charge par les caisses de maladie privées ou publiques.
L'acupuncture est censée contribuer à atténuer le sentiment de faim pendant les cures

L'acupuncture est censée contribuer à atténuer le sentiment de faim pendant les cures
Crédit photo : Phanie

Crédit photo : DR

Le jeûne pour la santé a le vent en poupe en Allemagne. Selon une étude publiée en 2019 par la caisse de maladie privée DAK, 63 % des Allemands, soit 10 % de plus qu’en 2012, estiment que les jeûnes sont bénéfiques pour la santé.

Une thérapie complémentaire

Il suffit pour s’en convaincre de consulter les innombrables sites internet de médecins et de « praticiens de santé » (professionnels non-médecins autorisés à pratiquer certains actes et certaines thérapies naturelles ou traditionnelles). Le jeûne thérapeutique étant considéré comme une thérapie complémentaire, les médecins ont le droit de faire de la publicité pour ce dernier, ce qu’ils ne peuvent pas faire pour leurs activités curatives.

S’il existe plusieurs « écoles » de jeûne, le jeûne le plus largement pratiqué et enseigné en Allemagne trouve son origine dans les travaux d’un médecin, le Dr Otto Buchinger (1878-1966) qui, dès 1919, fut initié au jeûne par un confrère suisse et parvint ainsi à soigner la polyarthrite articulaire dont il souffrait. Il se consacra alors entièrement à l’étude du jeûne et théorisa ses recherches dans un ouvrage paru en 1935 sous le titre de « das Heilfasten » soit, en français, « le jeûne thérapeutique ». En 1953, il ouvrit à Überlingen, sur les rives du lac de Constance, une clinique spécialisée pour la pratique de ce jeûne. Il existe d’autres cliniques à travers le pays dont certaines appliquent les mêmes méthodes.

Méditation, psychothérapie, éducation nutritionnelle…

La clinique d’Überlingen est gérée depuis quatre générations par la famille du fondateur, et possède un second établissement à Marbella, sur la côte andalouse. Elle propose des semaines de jeûne dans un cadre somptueux, complétées par de nombreuses activités incluant la gymnastique douce, la méditation, la psychothérapie mais aussi l’éducation nutritionnelle et diététique ainsi que des soins médicaux et esthétiques. Ce programme illustre la philosophie du Dr Buchinger pour qui la nourriture spirituelle et culturelle est aussi vitale que la nourriture substantielle : il a donc « fusionné les mécanismes d’autoguérison du corps et de l’esprit dans le jeûne thérapeutique », l’objectif étant aussi d’amener « chacun à adopter durablement un mode de vie plus conscient, tout en sachant exploiter ses ressources naturelles d’autoguérison ».

Les séjours durent en général entre une et trois semaines – les jeûnes proprement dits étant précédés de quelques jours de préparation puis de reprise progressive de l’alimentation -, et s’adressent aussi bien à des personnes malades qu’à des jeûneurs en bonne santé. La clinique attire de nombreuses personnalités et vedettes internationales, qui n’hésitent à débourser jusqu’à 15 000 euros par semaine pour venir y jeûner, dans une ambiance particulièrement apaisante.

Suivi médical

Plus modestement, le jeûne thérapeutique peut être pratiqué avec le soutien de nombreux médecins libéraux, qui proposent des semaines de jeûne avec suivi médical, facturées autour de 150 euros par semaine, somme qui peut être totalement ou partiellement prise en charge par les caisses si le patient a souscrit l’option permettant les remboursements de médecines complémentaires. Ces médecins sont souvent des généralistes ayant une orientation en homéopathie, en naturopathie mais aussi en acupuncture, laquelle est censée contribuer à atténuer le sentiment de faim pendant les cures.

Le jeûne thérapeutique fait l’objet d’une société scientifique, fondée par les proches du Dr Buchinger. Elle encourage le développement de la recherche et des pratiques, et publie des lignes directrices et des protocoles, tout en assurant la spécialisation et la formation continue des médecins. Sur le site, les indications sont précisées (notamment diabète de type 2, surpoids, coronaropathies, maladies chroniques inflammatoires), mais aussi les contre-indications absolues (dont anorexie, cachexie, femmes enceintes et allaitantes) ou relatives (diabète de type 1, tumeurs malignes, toxicomanes, certaines psychoses, etc.) 

Si le jeûne thérapeutique ne fait guère l’objet de controverses passionnées, ceci ne signifie pas pour autant que tous les médecins allemands y adhèrent. Certains universitaires en minimisent les effets bénéfiques ou estiment avec humour que les prix demandés pour une ou deux semaines de repas constitués d’assiettes vides sont sans doute disproportionnés. Partisans et détracteurs du jeûne s’accordent toutefois sur un point : les séances et les cures doivent être organisées dans le cadre d’un vrai suivi, et peuvent même comporter des risques en l’absence d’un accompagnement mené par des professionnels compétents. 

 

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin