Aspirine en prévention primaire

Après deux études négatives, le débat est-il clos ?

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Publié le 24/09/2018
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ASPIRINE

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Crédit photo : Phanie

Si les bénéfices de l’aspirine (ASA) en prévention secondaire sont parfaitement établis, chez les diabétiques comme chez les non-diabétiques, sa place en prévention primaire fait l’objet de discussions depuis de nombreuses années. Certaines études ont en effet souligné son intérêt pour réduire le risque d’infarctus du myocarde, au prix toutefois d’une augmentation du risque d’hémorragies, en particulier digestives. Un risque accepté par certains, chez des patients à risque comme les diabétiques.

Les résultats négatifs de deux études présentées en session plénière et publiées dans le New England Journal of Medicine pourraient clore le débat.

Mauvaise balance bénéfices-risques

De 2005 à 2011, l'étude ASCEND, a randomisé 15 480 diabétiques de types 1 (6 %) et 2 (94 %), qui recevaient de l’ASA à faible dose (100 mg/jour) ou un placebo. Après sept ans de suivi, le traitement par ASA s’est accompagné d’un petit bénéfice, se traduisant par une réduction de 12 % (p = 0,01) du risque relatif d’événement cardiovasculaire majeur. Mais, comme dans les études antérieures, cette réduction du risque cardiovasculaire s’est faite au prix d’une augmentation des hémorragies sévères, en particulier digestives. Et, in fine, la balance bénéfices-risques n’est pas en faveur du recours à l’ASA (1).

Dans l’étude ARRIVE (Aspirin to Reduce Risk of Initial Vascular Events), à laquelle ont participé sept pays, ce sont 12 546 patients à risque modéré mais non diabétiques qui recevaient soit de l’ASA à 100 mg/j, soit un placebo et ont été suivis pendant cinq ans. Hommes âgés d’au moins 55 ans avec plus de deux facteurs de risque cardiovasculaire et femmes âgés d’au moins 60 ans avec au moins trois facteurs de risque, ils n’avaient pas d’antécédents cardiovasculaires connus ni de diabète, mais leur risque estimé d’événement cardiovasculaire majeur à 10 ans était de 10 à 20 %.

Au terme de ce suivi, aucune différence sur le critère primaire (délai au premier événement de type décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, angor instable, AVC ou accident ischémique transitoire) n’a été observée (OR : 0,96 ; IC 95 % : [0,81-1,13] ; p = 0,60). Parallèlement, les auteurs ont rapporté une augmentation significative des complications hémorragiques, deux fois plus fréquentes sous ASA : 61 patients (0,97%) vs 29 patients (0,46%) dans le groupe placebo (OR : 2,11 ; IC 95 % : [1,36-3,28] ; p = 0,0007). Le recours à l’ASA relève donc d’une décision au cas par cas, après évaluation de la balance bénéfices-risques du traitement, estiment les auteurs de l’étude (2).

D’autres enseignements

Dans l’essai ARRIVE, le traitement par ASA n’a pas non plus eu d’impact positif sur le risque de cancers. De même, l’étude ASCEND a conclu à l’absence d’impact de l’ASA sur le risque de cancer colorectal, alors qu’un bénéfice avait été suggéré dans des méta-analyses. Cette étude a par ailleurs évalué, dans le cadre d’une randomisation factorielle, les effets éventuels de la supplémentation en oméga 3, à raison d’une gélule de 1 g par jour vs placebo, sur le risque d’événements cardiovasculaires majeurs. Avec là encore des résultats négatifs : taux d’événements vasculaires sévères de 8,9 % vs 9,2 % dans le groupe placebo (OR : 0,97 ; IC 95 % : [0,87-1,08] ; p = 0,55). L’administration d’oméga 3 n’a pas eu d’impact sur la mortalité totale ni sur le risque de cancer. Pour les auteurs de ce travail, ces résultats pourraient conduire à réviser les recommandations existantes en matière de supplémentation en oméga 3 (1).

(1) D’après les présentations des Prs Jane Armitage et Michael Gaziano, au nom des investigateurs de l’étude ASCEND
https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1804988
https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1804989
(2) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30158069

Dr Isabelle Hoppenot

Source : Le Quotidien du médecin: 9688