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Charles Rice, Prix Nobel de médécine : « Ce prix est une reconnaissance de la recherche en virologie »

Publié le 18/12/2020

Lauréat du prix Nobel de médecine 2020 avec deux autres chercheurs, l’Américain Charles Rice a fortement contribué à la success story de l’hépatite C. Dans un entretien accordé au Généraliste, il explique quelle a été sa pierre à l’édifice. Alors que l’épidémie de Covid-19 bouleverse la planète, il se réjouit de la valeur symbolique de ce Nobel, qui souligne les succès de la recherche virologique.

Crédit photo : The Rockefeller University

Vous venez d’être récompensé pour vos travaux sur le VHC. Pourquoi s’être intéressé à ce virus ?

Charles Rice : En 1989, lorsque les articles fondateurs sont apparus, identifiant un nouveau virus (le VHC en l’occurrence), comme agent de l’hépatite post-transfusionnelle « non A, non B », il est devenu clair que le virus de la fièvre jaune que nous étudions à l’époque partageait avec lui certaines caractéristiques. Ces virus ont ensuite été regroupés dans la même famille (les Flaviviridae). Compte tenu de cette similitude et de l’importance mondiale du VHC, travailler sur ce nouveau venu nous est apparu comme une évidence.

Quelle a été votre participation aux avancées dans l’hépatite C ?

C. R. : Lorsque nous avons commencé à travailler sur le virus de l’hépatite C, celui-ci était très peu connu, du moins du point de vue de la virologie moléculaire. Puisqu’il ne pouvait pas être cultivé en culture cellulaire, une innovation importante a été de créer un système génétique inverse, qui pourrait être utilisé pour explorer le cycle de vie du virus, définir des cibles antivirales pertinentes et, au final, développer des médicaments sûrs et efficaces.

Le principe de ce système génétique inverse est le suivant : le VHC étant un virus à ARN, il est difficile de le modifier en vue d’obtenir des mutations. Mais si vous créez une copie d’ADN du génome viral, cela peut être utilisé pour créer des imitations d’ARN du génome synthétique, lesquelles peuvent ensuite être testées pour leur capacité à se répliquer. Par exemple, le génome du VHC code pour des enzymes essentielles à la réplication du virus. Avec une copie d’ADNc du génome viral, vous pouvez alors introduire des mutations susceptibles d’annihiler ces activités enzymatiques et constater si cela affecte ou non la capacité du virus à se répliquer. Comme nous ne parvenions pas à générer des imitations virales capables de se répliquer et donc d’infecter un hôte, nous en avons cherché la raison. Nous nous sommes ainsi rendu compte qu’il manquait une partie essentielle à la séquence du génome viral rapportée en 1989 par l’équipe de Michael Houghton. Celle-ci n’était pas complète, contrairement à ce que tout le monde croyait, avec une pièce clé manquante, impliquée dans la réplication virale.

Vous avez pu identifier cette « pièce manquante » ?

C. R. : Nous avons effectivement découvert une séquence hautement conservée d’environ 100 bases localisée à l’extrémité du génome de l’ARN du VHC et déterminante pour la réplication virale. Une fois cette pièce manquante identifiée et ajoutée, nous avons pu démontrer dans un modèle animal qu’un clone fabriqué en laboratoire pouvait déclencher une infection identique à celle obtenue avec un inoculum provenant d’un patient infecté par une hépatite « non A, non B », démontrant ainsi sa capacité de se répliquer.

À quoi a servi cette découverte ?

C. R. : Cela a permis de confirmer que le VHC pouvait provoquer à lui seul la maladie. Cette définition d’une séquence génomique complète et donc « fonctionnelle » a aussi été une base importante pour les recherches ultérieures, qui ont finalement conduit à des systèmes de culture cellulaire et au développement de médicaments antiviraux puissants. L’étape suivante a consisté à mettre au point des molécules capables d’inhiber la réplication virale, comme par exemple des inhibiteurs de polymérases correspondant aux séquences génomiques propres au VHC que nous venions de déterminer. Les polymérases sont des enzymes qui ont pour rôle la synthèse d’un brin de polynucléotide (ADN ou ARN). C’est ainsi qu’a été mis au point le sofosbuvir, un inhibiteur de la polymérase NS5B du VHC, au début des années 2010.

L’hépatite C est désormais guérissable. Au début de vos recherches, imaginiez-vous un tel succès ?

C. R. : Des milliers de contributions ont conduit à la conception de traitements à même de guérir cette infection virale chronique. C’est vraiment cet effort combiné, plutôt qu’une avancée unique, qui a conduit aux polythérapies actuelles qui peuvent guérir plus de 95 % des personnes infectées en quelques mois, avec des effets secondaires minimes. Mais des défis demeurent, comme l’identification des personnes infectées (cette infection est souvent asymptomatique), la prise en charge des patients – laquelle varie considérablement selon le pays et la population de patients –, l’accès aux traitements, pour atteindre l’objectif d’éradication du VHC, voire le développement d’un vaccin qui préviendrait l’infection chronique par le VHC.

Que signifie ce prix pour vous ?

C. R. : Je considère ce prix comme une reconnaissance envers le domaine de recherche de la virologie, plutôt qu’envers une personne en particulier. J’espère que la mise en lumière de cette remarquable réussite biomédicale aidera le public à apprécier la valeur que la science et la recherche peuvent apporter à l’amélioration de la santé humaine. Des challenges de santé publique subsistent pour concrétiser ces progrès à l’échelle mondiale et être également prêts pour les prochaines pandémies, comme la Covid-19, lorsqu’elles surviendront.

Trois hommes pour un Nobel

Aux côtés de Charles Rice, l’institut Karolinska a distingué deux autres chercheurs : le Britannique Michael Houghton et l’Américain Harvey Alter. Tous trois ont reçu le prix Nobel de médecine pour « la découverte du virus de l’hépatite C », chacun y ayant contribué à un stade différent.

Étudiant la survenue d’hépatites après transfusions sanguines, Harvey Alter a été le premier à suggérer qu’un virus inconnu pourrait causer un nombre important d’hépatites chroniques. À l’époque, des tests de dépistage du virus de l’hépatite A et du virus de l’hépatite B venaient d’être développés. Bien que ces tests, pratiqués sur les poches de sang, aient permis de réduire l’incidence de l’hépatite chronique au sein de la population des transfusés sanguins, Alter et ses confrères ont observé que de nombreuses transfusions continuaient de donner lieu à des hépatites associées ni au virus de l’hépatite A, ni au virus de l’hépatite B. Afin de démontrer le caractère infectieux de ces hépatites de cause encore inconnue, Alter et son équipe ont alors exposé expérimentalement des chimpanzés à du sang de patients malades. Résultat : les chimpanzés ont eux aussi développé une hépatite. En 1978, de nouvelles études ayant mis en évidence les caractéristiques virales de ce nouvel agent infectieux, ces hépatites inexpliquées sont appelées « non A, non B ».

Il faudra ensuite attendre 11 ans et l’isolement du génome de ce nouvel agent pathogène par Michael Houghton pour que le virus de l’hépatite « non A, non B » devienne le virus de l’hépatite C. La caractérisation de l’ARN de ce virus s’est en effet avérée particulièrement difficile. Pour y parvenir et rattacher cet agent pathogène au genre Flavivirus, Michael Houghton et son équipe ont en effet dû créer une collection de fragments d’ADN à partir d’acides nucléiques trouvés dans le sang d’un chimpanzé infecté et sélectionner les fragments viraux en recourant à des sérums de patients malades contenant des anticorps dirigés contre le virus inconnu.

Enfin, Charles Rice a non seulement apporté la preuve définitive que le VHC pouvait provoquer à lui seul la maladie, mais il a également élucidé les mécanismes de réplication du virus, condition qui a permis le développement d’antiviraux directs.

Propos recueillis par Hélène Joubert

Source : Le Généraliste