Le point de vue du Dr Luc Duquesnel*

Le modèle économique libéral doit évoluer

Publié le 11/12/2017
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Le salariat des médecins généralistes est-il la solution pour la médecine de ville et l’accès aux soins ? Cette question aurait pu paraître incongrue il y a une dizaine d’années. La lecture de l’atlas du CNOM démontre chaque année qu’elle est, non seulement pertinente, mais que le modèle économique de la médecine générale libérale est à bout de souffle.

Si le nombre de spécialistes en médecine générale exerçant en activité régulière tous modes d’exercice confondus a diminué de 8,4 % sur la période 2007/2016, le nombre de généralistes libéraux a diminué de 13,5 % alors que le nombre de généralistes salariés a augmenté de 5,3 %. Il en sera de même sur la période 2016/2025 soit, pour la période 2007/2015, 27 % de médecins généralistes libéraux en moins et 11 % de salariés en plus. Le résultat de 30 années de convention médicale a donc mis à mal cet exercice libéral et aujourd’hui, si l’hôpital rémunère au même niveau l’ensemble de ses médecins salariés, il en va tout autrement en libéral.

Fort de ce constat, des collectivités territoriales, des mairies le plus souvent, ont décidé de suppléer un État défaillant et ont proposé aux médecins généralistes des organisations adaptées et financées par la collectivité dans le cadre d’un salariat qui garantit aux médecins des conditions d’exercice de qualité et leur permet d’assurer sans contrainte des consultations longues car complexes. Chacun sait que ces centres de santé, lorsqu’ils n’hébergent que des médecins généralistes, sont déficitaires mais que ce déficit n’est que la traduction des frais de fonctionnement nécessaires à un cabinet de médecine générale.

Des réponses conventionnelles pas à la hauteur

En 2016, lors de la dernière négociation conventionnelle, les syndicats représentatifs de médecins généralistes ont demandé à l’Assurance Maladie de donner aux médecins traitants les moyens nécessaires à des prises en charge de plus en plus complexes liés au vieillissement de la population et aux poly pathologies. Les réponses apportées par la convention médicale, un forfait structure et quelques consultations complexes majorées, ne sont pas à la hauteur des enjeux car elles ne permettent pas de financer un secrétariat pour soulager le médecin d’une partie de ses tâches administratives et que 95 % de ses consultations complexes restent rémunérées à 25 €.

La médecine générale libérale va-t-elle disparaître et le salut de ses médecins ne pourra-t-il se trouver que dans le salariat ? Je ne le pense pas, car chacun sait, et tout particulièrement nos tutelles, que l’exercice libéral est aussi synonyme d’efficacité et d’efficience. C’est donc le modèle économique de cet exercice qui est à remettre en cause. Une fois accepté le discours du Directeur de l’Assurance Maladie qu’il n’était pas possible, vu les contraintes budgétaires de la nation, de doubler le prix de la consultation, il est urgent d’explorer d’autres pistes.

La piste d'une expérimentation au forfait

Ainsi, il pourrait être proposé aux médecins généralistes volontaires d’expérimenter un forfait annuel pour les patients atteints de certaines pathologies chroniques, abandonnant ainsi tout ou partie du paiement à l’acte pour ces patients. Ce forfait, garanti pour le financeur d’en connaître son coût global, devra prendre en compte le temps consacré à ces prises en charge complexes de plus en plus fréquentes et l’environnement nécessaire au médecin traitant pour assurer un parcours de santé adapté à chacun de ces patients et que son expertise soit consacrée à du temps médical et non pas à des tâches administratives chronophages. Un tel forfait pourrait, dans un deuxième temps, être proposé à l’ensemble des professionnels de santé du premier recours qui prennent en charge ce patient.

Une telle proposition, novatrice pour certains mais probablement rétrograde pour d’autres, ne peut être imposée aux médecins généralistes. Seuls des volontaires doivent s’y engager et l’évaluation d’une telle expérimentation incitera ou pas les autres médecins à emboîter le pas de leurs confrères pionniers. Ne rien proposer aujourd’hui reviendrait à s’en remettre au bon vouloir des collectivités territoriales de consacrer ou pas une partie de leur budget au financement de l’exercice salarié de la médecine générale.

Pour autant, fort d’un nouveau modèle économique, la partie ne sera pas gagnée pour les médecins généralistes. Un quart de médecins généralistes en moins, cela veut dire prendre un quart de patients en plus ! Pour cela, et tout en gardant son rôle de chef d’orchestre du parcours de santé des patients, le médecin généraliste devra aussi s’engager dans des réorganisations pluri professionnelles au travers de transferts de tâches et de pratiques avancées.

* Président des Généralistes-CSMF
Dr Luc Duquesnel, Président des Généralistes-CSMF

Source : Le Quotidien du médecin: 9626