Le point de vue des Drs Eric May* et Alain Beaupin**

Pour un nouveau cadre d'exercice avec des médecins de ville salariés

Publié le 11/12/2017
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Le débat sur le salariat des médecins de ville est désormais ouvert au sein de la profession, débat inimaginable il y a encore dix ans. Sujet avant-gardiste et innovation de rupture pour l'époque, la notion d'équipe de santé pluriprofessionnelle est devenue le standard de qualité en médecine de ville. Le salariat est un incontestable levier de mise en œuvre des pratiques d’équipes, coordonnées, intégrant prévention, santé au travail, santé environnementale, éducation à la santé, éducation thérapeutique et bien sûr, soins pertinents.

Le cadre conventionnel sur lequel repose la médecine de ville est désormais le maillon faible du système de santé. Pensez donc : neuf conventions libérales, négociées profession par profession, chacune jouant son jeu et défendant ses intérêts propres. Tout sauf une incitation résolue au travail d'équipe. Quand une profession partage des actes avec une autre, elle perd des revenus. La bonne volonté l'emporte souvent, fort heureusement. Mais pour combien de temps ?

Le salariat répond aux attentes des professionnels

Au contraire, le salariat en centre de santé, répond aux nombreuses exigences des usagers et à beaucoup d’attentes des professionnels de santé : il libère du temps médical indispensable au praticien pour un exercice de qualité, il borne le temps de travail limitant ainsi le risque des stress et de burn out, il rompt le lien d’intérêt financier entre le patient et le praticien, il offre les droits de tout salarié, il a permis la mise en œuvre des pratiques d’équipe.

Alors si le libéral c'est fini, tout est-il merveilleux dans le monde des centres de santé ? Pas complètement. Ainsi, copie tardive des conventions libérales, l’accord national des centres de santé régit depuis une quinzaine d'année les rapports entre les seuls gestionnaires des centres de santé et les caisses d’assurance maladie. Oui, dans les centres de santé, la convention s'applique aux gestionnaires, pas aux professionnels. Faute de permettre le dialogue direct entre professionnels et assurance maladie, la situation conventionnelle actuelle  n'offre qu'un appui périphérique aux pratiques cliniques innovantes.

Le salariat en centre de santé est la forme d'exercice d'avenir de la médecine à la condition qu’on crée les conditions d’un nouveau partenariat entre les institutions, les promoteurs des centres et les professionnels qui y exercent. Mais évidemment, cela ne suffit pas : salariat en centre de santé, oui, mais dans quel système de santé, dans quelle type de structure, avec quelle gouvernance du projet de santé et pour faire quoi ?

Un nouveau cadre pour le système

Il y a nécessité et urgence d'imaginer un nouveau cadre pour le système de santé. Un cadre ville-hôpital de rupture. Un cadre qui ne peut être que de service public dans un pays qui voudrait rester à la pointe de l’innovation sociale et de la santé publique.  Mais pour cela, il va falloir que tous les acteurs de la santé se décident à ouvrir plus grand les yeux. La recommandation vaut pour les professionnels comme pour les décideurs publics. Regarder ce qui se fait à l'étranger dans le domaine du soin ou de l'économie, c’est bien. Mais pourquoi occulter les travaux des chercheurs en sciences sociales? Selon une récente enquête, 64 % de médecins libéraux sont en burn-out. On attend des explications. Les mêmes gestionnaires du système trouvent normal l'usage de l'evidence-based medecine pour les médecins, mais ne s'appliquent pas à eux-mêmes les principes de l'evidence-based management.

Comment faire ?

Offrir aux professionnels de santé, dans le cadre d’un maillage territorial, les conditions d’un exercice de qualité, en équipe, coordonné. Un exercice qui respecte leur indépendance professionnelle, répond à leur aspiration à un équilibre retrouvé entre activité professionnelle et vie privée, donne du sens à leur engagement, les libère de toute contrainte gestionnaire et de tout lien financier avec leurs patients. Plus simplement, pour peu qu’on leur offre le salariat dans des centres de santé et dans le cadre d’un système de santé public ambulatoire. Ces centres de santé publics se verront confier les missions d’intérêt général au bénéfice des populations et des territoires.

Quel chemin suivre ? Deux modèles sont prometteurs : le centre de santé établissement public de santé ambulatoire, et le centre de santé coopératif. Si le premier modèle, offrant le statut de Praticien Ambulatoire et ses passerelles avec celui de Praticien Hospitalier, reste à conquérir, nous devrions voir le centre de santé coopératif inscrit dans le Code de la Santé Publique en janvier prochain sous forme de Société coopérative d'intérêt collectif à but non lucratif (SCIC). De quoi s'agit-il ? De permettre à des professionnels de santé salariés, à des usagers, à des hôpitaux et à des collectivités locales de se réunir pour devenir collectivement coopérateurs d'une entreprise d'un nouveau type, à but non lucratif, gérant un centre de santé. De faire en sorte que les uns et les autres aient intérêt à œuvrer en commun plutôt qu'à se concurrencer. Belle idée que de faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers. Et de renforcer le lien entre les soins, la prévention et le bien commun de la protection sociale solidaire. Ce à quoi s'emploient les médecins salariés depuis bientôt 70 ans. 

* Président de l'Union Syndicale des Médecins de Centres de Santé (USMCS)
** Président de l'Union Confédérale des Médecins salariés (UCMSF)

Source : Le Quotidien du médecin: 9626