Le village des gentils

#1 Les filaments argentés

Publié le 07/05/2020
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Phanie Le village des gentils

Un vendredi soir, de retour d’un séminaire professionnel et roulant sur une route tranquille, ma voiture commença à hoqueter. J’étais encore à une dizaine de kilomètres de Vourles, le village où j’habitais. Par prudence, je décidai de m’arrêter sur le bas-côté de la route. Mes connaissances en mécanique automobile étant faibles, je ne m’aventurai pas dans l’exploration de mon moteur. Voir tous les voyants au rouge me suffisait amplement pour décider de ne pas poursuivre plus loin et prendre le risque d’endommager irrémédiablement mon véhicule. Je coupai le moteur, pris ma sacoche et sortis de l’habitacle.

Le soir tombait sur l’arrière-pays lyonnais. J’aimais cette région, ses arbres fruitiers, sa nature accueillante, son climat agréable. Pour cette raison et bien d’autres, je m’étais installé il y a dix ans à Vourles avec ma femme Barbara et avais repris le cabinet médical du docteur Parmentier. Pendant toutes ces années, j’avais acquis la confiance de mes patients, des gens sans histoires. Mes deux filles, Agatha et Vanina, se plaisaient dans ce village. Mon épouse travaillait à Lyon et n’avait pas l’intention de revenir en région parisienne dont elle aimait pourtant la vie trépidante. Élever des enfants avait probablement changé sa perspective mais en dépit de ce nouveau mode de vie, Barbara n’avait pas changé ; elle restait la femme explosive, volubile, extériorisée. Agatha et Vanina avaient hérité des gènes turbulents et créatifs de leur mère ; tout le monde se plaisait à leur prédire un destin similaire dans le milieu artistique où Barbara excellait en tant que chargée des relations publiques.

Je marchais désormais sur la route de Vourles. Je savais que croiser un automobiliste à cette heure dans un endroit si peu fréquenté relevait de l’improbable. Aussi, je laissais mon esprit vagabonder et mes yeux profiter du paysage bucolique. Le ciel était clair, débarrassé des derniers nuages de mai. Les étoiles s’affichaient fièrement dans la voûte céleste. La Lune ajoutait sa touche romantique au décor environnant. Je me surpris à deviner les constellations comme me l’avait appris mon grand-père, à imaginer des peuplades extraordinaires au-delà du visible, à croire que la vie n’avait pas ensemencé uniquement notre planète bleue, ne constituait pas une exception locale mais prenait forme partout dans la galaxie sous des dehors différents.

Soudain, j’aperçus dans le ciel une sorte de nuée, une pluie de filaments argentés volant en essaim. Je m’arrêtai pour contempler ce spectacle inhabituel, sans chercher à en comprendre le sens, en interpréter les signes ou en établir un diagnostic. Ce soir, je n’étais plus médecin mais juste un peu poète, un passant dans la nuit, un spectateur de la féerie printanière. Les filaments argentés illuminaient faiblement la voûte céleste comme s’ils ne voulaient pas déranger l’ordre établi des constellations, des étoiles, des planètes et de la Lune, tels de simples visiteurs de passage dans une nuit calme et sereine, loin du bruit et de la fureur des grandes villes. Je les regardai s’éloigner lentement et regrettai déjà leur magie impromptue.

Le reste du trajet se déroula dans cet état d’esprit. Je marchai sur un long ruban de bitume encadré de vergers, avec pour destination ultime le joli village de Vourles où dormait tranquillement ma famille. Cette seule pensée m’affranchissait de la fatigue et de la lassitude accumulées toute la semaine. J’avais l’impression de flotter sur la rivière nocturne d’un pays merveilleux.

Prochain épisode dans notre édition du 14 mai

Donald Ghautier est consultant en organisation. En 2014, il décide de pratiquer sérieusement sa passion, l’écriture, à travers de la poésie et des nouvelles, publiées dans des revues numériques. Les histoires qu’il raconte sont variées, souvent mâtinées de poésie et d’une réflexion humaniste. Son genre de prédilection demeure la science-fiction car elle permet d’inventer un monde différent.

Donald Ghautier

Source : Le Quotidien du médecin