VIES DE MEDECIN

Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe

Publié le 19/03/2015
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Crédit photo : OLIVIER QUARANTE

« Mais

si vraiment, il ne peut plus supporter ce pays, qu’il en change ! » Le 17 février, soit une semaine après la publication de la tribune du Pr Abdel-Rahmène Azzouzi dans « Le Monde des Religions », Alain Finkielkraut, invité de l’émission « Bourdin Direct » sur RMC, qualifie les propos du médecin angevin d’« inacceptables » et l’invite à « changer » de pays. Qu’a donc pu écrire cet urologue pour susciter une saillie d’une telle violence ? Sa parole serait-elle disqualifiée parce qu’émanant d’un musulman, comme le pense ce praticien ? Pourquoi tant d’incompréhension entre un philosophe, qui critique ceux qui « plaident pour une relaxation des exigences républicaines », dont ferait partie Abdel-Rahmène Azzouzi, et ce médecin qui appelle à « plus de République » et à une République moderne, ouverte, attentive à tous les citoyens, musulmans comme non-musulmans ?..

Quand on entre dans le bureau du chef de service d’urologie du CHU d’Angers, on ignore encore que c’est un véritable flot de questions et de mots qui nous attend. Première certitude : le professeur aime le verbe. Son cheval de bataille, sujet de sa tribune : la place des musulmans en France. Des musulmans à qui l’on demanderait, selon lui, d’être invisibles. « Le risque de tensions inter-communautaires existe bien. Cela serait un échec de la République. Pour l’éviter, il faudrait regarder le pays tel qu’il est et avec son histoire coloniale. Alors on ne peut pas se réveiller un beau matin et faire semblant de découvrir qu’il y a cinq millions de musulmans en France ! Encore moins tenter de passer pour des victimes d’une situation qu’on a créée soi-même… »

« Enlève ta barbe, tu es plus beau sans »

Désormais, pour lui, il y a urgence : « Les événements dramatiques de janvier nous ont frappés en plein cœur. Des Français ont tué des Français. Nous avons atteint là une limite de ce qui est supportable pour notre cohésion sociétale. Accepter plus, c’est le cautionner », avait-il expliqué le 13 février sur le site du « Quotidien ». Lui, né à Saint-Ouen en 1966 de parents algériens, dernier de sept enfants, quittant les 4 km2 sur lesquels il a vécu, « très heureux », pour étudier à Bichat (« mon premier choc : franchir le périph’ ») puis pour faire son internat de chirurgie à Nancy, la République chevillée au corps.

L’histoire commence par la rencontre avec son patron à Nancy, le Pr Philippe Mangin. Son « père urologique », qui l’a, dit-il, « peut-être plus transformé que (son) père biologique ! ». « À l’époque, en signe de rébellion contre la guerre du Golfe, je portais la barbe, raconte Abdel-Rahmène Azzouzi. Philippe Mangin aurait pu m’exclure mais il a préféré faire un pas vers moi en me disant simplement : enlève-la, tu es plus beau sans… C’était très intelligent parce que ça a marché et, surtout, il me transmettait ainsi la grille de lecture. C’est ça la République ! Il m’a porté jusqu’à ce que je devienne professeur d’urologie, le premier en France de confession musulmane. Il m’a aidé à faire exploser des plafonds de verre. »

Extirpé du système politique

Les sujets s’enchaînent et s’entrechoquent dans un enthousiaste tourbillon de mots. Pour Abdel-Rahmène Azzouzi, le sujet commun à toutes ces digressions, sur l’importance de l’histoire pour comprendre la réalité ou la nécessité d’une Europe des régions et non des nations, serait en réalité « un système politique à bout de souffle », dont il s’est « extirpé », en donnant sa démission début 2015 du conseil municipal d’Angers. La question de la place des musulmans illustrerait parfaitement l’incapacité du gouvernement et des élus en général à regarder la réalité en face et à répondre aux aspirations des Français. « La preuve ? Quels sont les Français qui sont contents actuellement ? »

Mais le Pr Azzouzi, que fait-il ? Pyromane ou « lanceur d’alerte » ? Pour le moment, il parle, pourrait-on dire, et montre un incontestable intérêt pour les problématiques qui secouent la société française. Mais encore ? Certains lui prêtent des ambitions politiques. Lui jure que s’il a quitté la politique, ce n’est pas pour y revenir un jour. Il va même jusqu’à reprendre à son compte le slogan de Jean-Luc Mélenchon : « Qu’ils s’en aillent tous ! » tout en glissant : « Je ne m’interdis rien… On a un rôle à jouer, plus important que nos politiques. » On n’en saura pas plus.

Trouver un chemin de traverse

Pour l’heure, il faut donner du poids à cette décision radicale. Quitte à dévaloriser son activisme d’avant, au Club XXIe siècle, qui entend valoriser la « diversité » d’origines de la population française, comme au Centre de réflexion des musulmans d’Anjou, par ce commentaire amer : « Des années de luttes et d’avertissements sans succès. » Pour autant, au bout de trois heures d’entretien et malgré ses protestations plus ou moins vigoureuses, il est difficile de le voir s’en « retourner » à son épouse, à ses enfants et ses deux ânes, comme il l’a écrit en guise de conclusion de sa tribune. Comme il est difficile de croire que, définitivement, il se « lave les mains » de l’avenir de cette République qu’il pourrait, avec son sens des formules coup-de-poing, prier cinq fois par jour tant il lui doit.

La question pourrait être : quel chemin empruntera désormais le professeur Azzouzi ? Un chemin nouveau semble-t-il, pour ne plus avoir, comme il l’annonce à ses anciens collègues élus et amis dans sa tribune, « à faire semblant de partager un chemin commun avec vous (…) car beaucoup trop nous sépare ». Un chemin de traverse probablement pour défendre sa vision d’une République non-communautariste et conciliante, assure-t-il, de la même manière qu’il a su, par le passé, saisir la chance d’être nommé à La Pitié-Salpêtrière pour, reconnaît-il, « sortir du lot et avoir une voix ». Une voix dont il n’entend pas se défaire.

Olivier Quarante

Source : Le Quotidien du Médecin: 9396
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