Il a le sourire enjôleur. De celui qui met à l’aise son interlocuteur, sans feinte ni superficialité. Bien malgré lui, Jean-Christophe Rufin impressionne. Par sa prestance ? Non… par son authenticité. Accueillant et d’une extrême disponibilité, ce médecin d’un temps, devenu tour à tour humanitaire, diplomate (…) puis écrivain, se dit ravi d’être sollicité par « le Quotidien ». Honoré, même.
Lui qui s’est senti jusqu’alors écarté par la presse médicale, le considérant, suppose-t-il, comme un fuyard de la médecine. Ce qu’il dément automatiquement : « Mon parcours n’est pas en rupture avec la médecine. » Ajoutant, presque solennellement : « C’est un domaine auquel je dois tout. » Cette dette envers la médecine, Jean-Christophe Rufin nous la conte, au fil de cet entretien riche d’émotions et d’humanité… à l’image de ses livres, en somme.
Desserrer le garrot
Avec une générosité et une sincérité enfantine, il se dévoile librement, guidé par nos questions et ses propres réflexions. Celles-là même qui s’imposent à lui, au quotidien, instant après instant, et participent d’une intelligence subtile et intuitive. « C’est un chevalier moderne sans peur, condamné à tout comprendre », décrit, avec admiration, son ancien collègue et ami Dominique Lefèvre. Chirurgien, ce dernier décrit avec poésie son confrère écrivain : « C’est un phénomène de fulgurance. Il est tellement spontané, entier et vif, qu’il casse l’indifférence. » Sa fille, Gabrielle, est moins nuancée : « C’est un hyperactif qui passe son temps à courir partout… un grand impulsif doté d’une imagination incroyable. » Est-ce son imagination qui l’a conduit à dévier du milieu médical ? Possiblement. Déçu par le « manque de créativité » dans la pratique médicale, l’interne n’avait d’autre choix que de quitter les rails qui lui étaient – en apparence – imposés. « Je pensais que la médecine était un métier total, de culture, de soin, d’action, d’engagement », raconte-t-il. Cette opinion, il l’avait intégrée en observant son grand-père, praticien au temps où « la médecine était un terreau de culture ». Et de rappeler : « Au début du XXe siècle, on apprenait le grec, le latin, et même la politique au sein des études médicales. » Pas nostalgique pour autant, le Dr Rufin remarque les « progrès considérables » de la médecine, dont l’appropriation porte « préjudice », cependant, à « son humanité ». « Le poids de la technique a changé l’équation et induit un fragile équilibre », regrette-t-il. Il appelle à « ré-enchanter » le métier et se veut optimiste. « Sans aucun doute, il y aura un retour de balancier », prédit-il.
L’éternel étudiant
« On a le choix de faire une médecine plus humaine ». C’est ainsi qu’il loue les cours de culture générale en faculté de médecine dont il a eu vent, et se plaît à donner l’exemple d’un possible décloisonnement. Et c’est peut-être une des choses dont il est fier : être une preuve vivante des ponts entre médecine et littérature. Lui qui a « toujours eu envie d’écrire et de partager », a puisé son inspiration dans la médecine, autant que dans ses différents métiers. « La médecine a été pour lui un marchepied », analyse le Dr Dominique Lefèvre, répétant le propos de son ami à l’identique. Raison pour laquelle Jean-Christophe Rufin ne se détache en rien de son métier premier. « Une des choses que la médecine m’a apprises, c’est le travail », résume le médecin-écrivain. Et de cet apprentissage du labeur, l’auteur a tiré une discipline en fer forgé. Déjà à 20 ans, « c’était un étudiant extrêmement studieux et brillant », témoigne son ami chirurgien, qui l’a accompagné durant ses études médicales, en Tunisie dans le cadre de la coopération, puis à l’Institut d’Études Politiques. Soit des années de contraintes scolaires que Rufin a intégré dans son quotidien. « Si je ne travaille pas, je suis malheureux », dit-il, opposant ainsi l’écriture – qu’il décrit comme un « espace de liberté » – à un travail à proprement parler. Les deux étant indispensables, semble-t-il, à son équilibre. « Ne faire qu’écrire est suicidaire », confirme-t-il. Et ne pas écrire ? Cette option n’est même pas évoquée.
Créatif, sinon rien
Avec une œuvre littéraire qui frôle la vingtaine d’ouvrages, couronnée d’un prix Goncourt, Rufin a pris le pli du monde littéraire. Ce dont il ne se vante pas, bien au contraire. Bien que membre de l’Académie Française, il reste pétri d’un « complexe » vis-à-vis de ce monde qu’il a mis du temps à intégrer. « Le roman ? Je m’y suis mis en rasant les murs », se confie-t-il. Dix-huit ans après le premier (« L’abyssin » publié chez Gallimard), l’auteur ne se sent toujours pas légitime. Ce qu’il justifie à sa façon : « Je n’ai pas une vision encyclopédique de la littérature. » Aussi, si Jean-Christophe Rufin exprime un regret, c’est celui d’avoir manqué de temps pour… lire. « Pendant que les étudiants en littérature relisaient "À la recherche du temps perdu", je révisais mes planches d’anatomie », évoque-t-il avec le sourire. Ce complexe, il le doit d’une part à son perfectionnisme, d’autre part aux préjugés dont il a fait les frais. Il s’explique : « Un médecin qui sort du cadre médical suscite de la méfiance, même un certain mépris. » Ajoutant : « Quand on s’aventure ailleurs c’est comme si on commettait un crime à non-assistance à personne en danger. » De la culpabilité, il n’en parle point. Mais on imagine aisément qu’il l’a transformée en moteur de travail inépuisable. C’est un « homme d’enjeux », décrit son ami, le Dr Lefevre. L’homme aime les défis, sans lesquels sa vie n’aurait pas de saveur. Et les épreuves, qu’il affronte, vent debout, et sublime à l’improviste dans l’écriture. Serait-ce une manière pour lui de gérer une extrême sensibilité ou un trop plein émotionnel ? Son autobiographie – « Un léopard sur le garrot » publiée chez Gallimard – livre indirectement la réponse : « C’est sans doute ma fragilité devant la maladie qui m’a inconsciemment poussé à devenir médecin, dans l’ambition inavouable de me soigner moi-même. Ce fut la même fragilité, plus tard, qui me conduisit à m’éloigner de la pratique hospitalière dans laquelle ma peur et mes angoisses étaient mises à trop rude épreuve. » Hypersensible, et passionné par l’humain. Voilà qui résume la personnalité de Jean-Christophe Rufin.
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