Médecin de campagne et cavalier. Voilà la carte d’identité du Dr Roberto Anfosso. C'est dans les campagnes enneigées l’hiver et humides l’été du Piémont, entre Turin et Cuneo, que ce praticien piémontais, âgé de 63 ans, se déplace à cheval entre vignes et noisetiers pour aller voir ses patients.
Dans la région, le Dr Anfosso vole la vedette aux producteurs locaux de Barolo, un vin à la saveur boisée exporté dans le monde entier. En ce mois de mars particulièrement froid, la neige tombe à gros flocons. Des chiens aboient, un chat miaule, Ambra, une belle pouliche rousse à la crinière qui frise entre les deux oreilles, hennit. Elle sent le vent, le moment est venu de sortir et de couper par les sentiers pour aller voir les patients. Comme chaque jour, le Dr Anfosso bichonne sa jument, brosse ses sabots. Puis, glisse ses instruments de travail dans sa besace, son stéthoscope, son carnet d’ordonnances sans oublier le tensiomètre et quelques seringues.
L'équitation, "un truc génétique"
La journée va être difficile avec la neige qui ne veut pas arrêter de tomber et le froid cinglant. Depuis dix ans, le Dr Anfosso bat les campagnes avec son cheval pour examiner ses quelques 1200 patients éparpillés dans cette région nichée aux pieds des montagnes, à quelques kilomètres de la frontière française. Au départ, il voulait devenir footballeur. « J’étais attaquant et j’ai eu des problèmes d’asthme alors j’ai voulu changer de sport et trouver un truc où quelqu’un aurait couru pour moi », confie le Dr Anfosso.
À Spotorno, un bourg situé dans la province de Savone, cet étudiant en médecine qui voulait devenir gynécologue mais qui a dû changer de spécialisation à cause du numerus clausus, trouve un manège. Après avoir appris les rudiments de l’équitation, à l’anglaise (« on dit qu’on monte à l’anglaise mais en fait c’est à l’italienne, la méthode ayant été inventée par un Italien mais comme nous sommes tous anglophiles, on dit à l’anglaise »), le jeune adolescent qui venait d’avoir quatorze ans, balade les touristes entre deux cours. L’équitation, il dit l’avoir dans le sang, « un truc génétique » car son père montait à cheval et son grand-père était officier dans la cavalerie.
Les années passent, le temps de l’université aussi. Le futur médecin de campagne plie armes et bagages et part pour La morra, un autre bourg situé à mi-chemin entre Turin et Cuneo. « Je me suis installé ici, il y a le bon air, la campagne, les relations sont plus simples moins tendues même si la vie de campagne est dure, l’hiver est long et le climat rude », avoue le Dr Anfosso. Dans cette campagne perdue, il retrouve son ancien professeur d’équitation. C’était en 1982. Le courant passe à nouveau, les balades à cheval recommencent. C’est le temps des concours. « Je faisais du saut d'obstacles. J’étais assez bon, j’ai quelques trophées chez moi », assure-t-il en bombant le torse et en lissant sa petite moustache prussienne d’un air assuré.
Les patients deviennent de plus en plus nombreux. Courir de l’un à l’autre en voiture sur les petites routes de campagne, ce n’est pas toujours simple surtout l’hiver avec la neige et les routes embourbées. « Un jour, c’était en mai, j’ai décidé de faire un tour avec ma jument et puis j’ai reçu un appel, un patient que j’avais rayé de ma liste parce qu’il était particulièrement compliqué et antipathique, n’allait pas bien et je remplaçais son médecin de famille ; aussi je ne suis pas descendu de cheval pour prendre ma voiture et j’ai été directement chez lui », se souvient le Dr Anfosso. Lorsqu’il arrive avec son stéthoscope et son carnet de prescription dans sa besace, l’épouse du patient réagit mal au départ. « Lorsqu’elle m’a vu arriver à cheval, les yeux lui sont sortis de la tête. Je lui ai dit : "je suis le médecin, ça c’est ma jument si vous ouvrez le portail, je rentre et j’examine votre mari" », raconte le praticien.
C’était il y a dix ans. « Depuis, je fais toutes mes visites à cheval, je gagne beaucoup de temps, je coupe à travers les bois en toute saison, mille deux cent patients ce n’est pas peu et il faut en faire le tour », ajoute le Dr Anfosso. Une façon de « faire d’une pierre deux coups, de voir ses patients et de faire du cheval ».
Sa cravache... achetée dans un sex-shop parisien
Et puis, arriver avec un animal facilite le contact, le rend moins institutionnel, plus chaleureux. Chaque semaine, le médecin parcourt entre 80 et 100 kilomètres, 98 % de ses patients habitant dans les campagnes. « Arriver à cheval facilite le contact et pas seulement avec les enfants. C’est de la pet thérapie, les personnes âgées, focalisées sur leurs petits bobos, oublient en me voyant arriver avec ma jument, on commence à parler du cheval, elles veulent le caresser… Certains patients m’attendent même avec du foin ou des carottes et un verre de vin pour moi », confie le Dr Anfosso.
Le jour où l’un de ses patients, âgé et paralysé s’est soulevé de son lit pour lui indiquer par la fenêtre, l’anneau auquel il attachait son cheval du temps de sa jeunesse, a été une victoire. « J’ai eu le sentiment que de me voir arriver avec Sissy lui avait fait beaucoup plus de bien que tous les médicaments du monde », murmure le toubib.
Entre deux villages, une petite structure hospitalière pour personnes âgées accueille des patients parfois nés au début du siècle dernier, des gens de 70 à 104 ans. « Avant j’y allais avec Sissy ma vieille jument. Maintenant Ambra, une pouliche de trois ans d’origine française, la remplace », explique le médecin de campagne en agitant sa cravache. Un objet fétichiste acheté dans un sex shop à Montmartre, avec une petite tête de cheval argenté en guise de pommeau. « J’étais avec des amis à Paris, je l’ai vu en vitrine et j’ai flashé, j’ai demandé au vendeur si cela allait pour un cheval, il m’a répondu : les femmes, les hommes, les chevaux, c’est bon pour tout le monde… », conclut le Dr Anfosso.
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