Quand vous avez une grande sœur comme Marisol Touraine, la vie n’est pas forcément facile.
Dans la famille Touraine, le père, Alain, sociologue de renommée internationale, docteur honoris causa d’une quinzaine d’universités dans le monde, inculque à ses deux enfants son exigence de la réussite par le travail. Marisol va combler ses ambitions. « Ma sœur est une bûcheuse pure, confirme Philippe Touraine. À l’exemple de notre père, enfant, elle vit dans les livres, à douze ans, elle a lu Nietzsche. Et elle enchaîne « finger in the nose » la mention très bien au bac, l’École normale supérieure, Sciences Po, l’agrégation de sciences économiques. Quant à moi, j’aimais surtout m’amuser et le lycée n’était pas mon truc. Alors, quand j’ai échoué au bac, vous imaginez le choc familial ! » Tremblement de terre boulevard Raspail. Des soucis de santé, une intervention subie peu avant l’examen expliquent cet échec qui reste impensable chez les Touraine. « Peut-être fut-ce ma manière de me rebeller », risque l’intéressé.
Si le frère et la sœur ont un air de famille, avec les mêmes grands yeux vifs et un sourire radieux et constant, leurs tempéraments sont plutôt opposés. Marisol tient du père, introvertie et distante, ce qui lui a valu Avenue de Ségur d’être jugée glaciale – « Non, ma sœur n’est pas glaciale, elle est simplement réservée », rectifie le frère. Lui, il tient de leur mère, Adriana, Chilienne d’origine, médecin, fille d’un doyen de fac, « une femme d’un charme et d’une beauté folle, joviale et chaleureuse, j’ai hérité de son amour des gens. » Enjoué, charmeur, volubile, avec un faux air de Bernard Giraudeau, le frère cadet aime la danse, la fête, le théâtre, quand son aînée s’isole pour bûcher ses cours.
Coup de foudre pour l'endocrinologie
Après ses faux pas lycéens, Philippe Touraine va s’éclater en médecine. « J’ai su très tôt que je serai médecin, se souvient-il. Mon père m’avait répliqué : non, pas médecin, chef de service ! » « C’est Philippe qui a repris la fibre médicale dont est tissée notre famille, aussi bien du côté maternel que du côté paternel, mon père et moi sommes les exceptions à cette lignée », confie au « Quotidien » Marisol Touraine, dont le grand-père fut vice-président de l’Académie de médecine et un oncle PU-PH en dermatologie.
« J’ai démarré en flèche, raconte-t-il, je faisais enfin ce qui me plaisait. » Commence alors un parcours de saut d’obstacles hospitalo-universitaires sans faute. Quand on lit son CV, tout semble impeccablement huilé sur le papier, jusqu’à la chefferie du service d’endocrinologie et médecine de la reproduction à la Pitié-Salpêtrière, qui devient le service des maladies hormonales numéro 1 au palmarès des hôpitaux publié par « le Point ». « J’avais tout d’abord des visées sur la pédiatrie, mais je ne me sentais pas à l’aise dans le triangle médecin-parents-patient, j’avais besoin d’un contact à deux, pas à trois. Alors, la découverte de l’endocrinologie a fait l’effet d’un coup de foudre, poursuit le PU-PH, avec des accents lyriques. C’est un domaine merveilleux qui permet de réfléchir et de comprendre énormément de pathologies, surpoids, obésité, diabète, hypercholestérolémie, qui sont associées à des maladies métaboliques, ainsi que leur retentissement sur le plan de la reproduction. L’endocrinologue explore une transversalité fine et subtile qui ouvre sur des avancées thérapeutiques prodigieuses. »
Après un post-internat à l’Institut de recherche clinique de Montréal, d’où il rentrera avec une épouse québécoise, le retour en France passe par Necker et l’endocrino-pédiatrie (chez Pierre Mauvais-Jarvis, pape de la spécialité, Frédérique Kuttenn, Paul Kelly). La rencontre en 2002 avec le Pr Michel Polak est décisive. Avec le défricheur de la fonction thyroïdienne dans le fœtus humain, un partenariat scientifique se noue et une histoire d’amitié se forge. « Avec Philippe, nous avons fait décoller une fusée à trois étages, comme dans un album de Tintin, raconte celui qui aime se comparer à Woody Allen, avec son bouillonnement incessant d’interrogations : « le premier étage, c’est la clinique avec l’organisation commune des soins en pédiatrie et en médecine adulte ; le deuxième étage, c’est l’enseignement, avec la fondation du DIU "transition en endocrinologie et métabolismes" et la mise en commun d’enseignements croisés sur la fertilité ; le troisième étage, c’est la recherche avec des applications sur la qualité de vie des jeunes adultes qui nous a embarqués tous les deux dans le 3e plan maladies rares (hyperplasie surrénale et maladies surrénaliennes). » D’autres seraient entrés en compétition, eux sont devenus les meilleurs amis. « Philippe est pétri de culture et d’humanité, insiste le Pr Polak, c’est un battant, il a pour ses élèves l’exigence qu’il s’applique à lui-même, il veut qu’ils accèdent à leur part de responsabilité. Toujours ce surmoi venu d’une enfance élitiste le fait avancer et fait avancer ses élèves. »
« Avec le Pr Touraine, il faut tout donner, confirme l’une des gestionnaires des cohortes labellisées qu’il a créées sur les pathologies gynécologiques rares et la croissance, Isabelle Tejedor ; des orages éclatent parfois, mais l’esprit d’équipe reste le plus fort, dans une ambiance quasiment fusionnelle. D’ailleurs, personne ne quitte le service. »
« C’est un passionné et un affectif, ajoute Sabine Malivoy, la psychologue qu’il a recrutée pour Transend (voir repères), les contraintes universitaires et financières mettent une sacrée pression sur les membres de l’équipe. L’esprit familial, entre nous, est plus fort que la loi hiérarchique. »
Conflit d'intérêts familial
La famille, encore la famille… Une crise familiale aurait pu éclater en 2012, lorsque la grande sœur s’est attaquée aux dépassements d’honoraires jugés « excessifs ». Avec sa consultation privée à 130 euros, parfois 150, le vendredi après-midi, Philippe Touraine s’est retrouvé dans la ligne de mire de certains sites spécialisés criant au conflit d’intérêts, mais, assure-t-il, « pas affecté du tout par la polémique ». En revanche, le ton a monté en juin dernier. « Ma sœur a fait du très bon boulot », a tweeté Philippe Touraine, défendant son aînée contre des médecins de l’UFML qui l’ont alors taxé d’ «oligarque bobo à 130 euros ». Pluie d’insultes, comme à Gravelotte. « Des extrémistes ont posté des messages de haine, d’une violence incroyable, limite appel au meurtre, commente le frère, des enragés. » Mais décidément, elle, c’est elle, lui c’est lui. Hormis ces foires d’empoigne, aucune interférence, jurent-ils tous les deux entre leurs sphères respectives. Aujourd’hui, la tempête s’est calmée. Entre un congrès à Washington, des cours qu’il dispense à Paris et à Bamako, son service (noté 18,85/20 dans « le Point », Alain Touraine peut être fier du rejeton), ses centres de références et ses cohortes, « la nouvelle star de Twitter » (comme l’a baptisé Egora) s’est inscrit cet automne à des cours du soir de théâtre. « Vous verrez, ses futurs challenges vous étonneront », pronostique l’ami Michel Polak.
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