Quand
on demande au Dr Ibrahima Maïga pourquoi il est resté au nord du Mali en 2012, alors que tous ses confrères fuyaient l’avancée des djihadistes d’Aqmi, sa réponse est simple et directe : « Je suis un soldat de la santé. » La médecine, ce praticien de 44 ans la vit comme un sacerdoce au service des habitants de sa région d’origine, celle de Tombouctou. La guerre mettait sa ville natale danger, il ne pouvait pas l’abandonner, c’était aussi simple que cela.
« Une bonne partie de la population était partie aussi », se souvient Johanne Sekkenes, qui dirigeait à l’époque la mission de Médecins Sans Frontières (MSF) au Mali. Cette infirmière de formation ne jette pas la pierre aux professionnels de santé qui ont cherché à sauver leur peau en se mettant à l’abri. Mais la présence du Dr Maïga au Nord lui a facilité bien des choses : elle avait besoin d’un interlocuteur gouvernemental fiable sur place, afin d’envoyer une équipe à Tombouctou. Heureusement pour MSF et pour les autres humanitaires qui voulaient intervenir sur la zone, le Dr Maïga était là pour représenter services d’État maliens.
Le médecin et l’émir
Celui-ci était le seul médecin de la fonction publique à des milliers de kilomètres à la ronde. Son parcours avait jusqu’ici été des plus classiques : études primaires et secondaires à Tombouctou, études de médecine à Bamako, la capitale, puis affectation au centre de santé et à l’hôpital de sa ville natale. Quand Aqmi conquiert Tombouctou, il y dirige le centre de santé de référence.
L’absence de ses supérieurs lui confère de nouvelles responsabilités : il devient de facto le coordinateur des services de santé de la région, et le point focal pour toutes les organisations qui veulent soigner les populations du Nord. Cela l’amène à travailler avec les humanitaires… mais aussi avec les islamistes.
Car le Dr Maïga est déterminé à ce que les centres de santé et les hôpitaux continuent à tourner, vaille que vaille. Et si cela doit le conduire à discuter avec le diable, qu’à cela ne tienne : la santé des habitants de Tombouctou passe avant toute autre considération.
Quand Abou Zeïd, l’émir d’Aqmi et maître de la ville, cherche à le contacter par l’intermédiaire de la Croix Rouge pour établir une commande de médicaments, le médecin ne se dérobe pas. « Il est arrivé dans mon bureau armé de sa kalachnikov, qu’il a déposée dans un coin », se souvient-il. Les deux hommes négocient par l’intermédiaire d’un traducteur, et se mettent rapidement d’accord : l’un comme l’autre ont intérêt à ce que les produits pharmaceutiques arrivent sur place.
La commande sera payée rubis sur l’ongle par l’émir. Le Dr Maïga réussira par la suite à obtenir de sa part d’autres appuis matériels, comme du carburant pour pouvoir se rendre dans les zones les plus reculées de la région. « Certains humanitaires arrivaient avec des médicaments, mais sans aucune logistique », se rappelle le médecin. Avec l’essence des islamistes, au moins, il pouvait aller au-devant de certains besoins.
Mais si les djihadistes acceptent que le Dr Maïga poursuive son travail au service de la population, ce n’est pas sans contrepartie. Pour rester ouvert, l’hôpital devait strictement séparer les patients en fonction du sexe : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Le personnel féminin était autorisé à travailler, mais devait respecter les codes vestimentaires établis par l’occupant.
En plus des exactions de l’occupant (voir encadré), le Dr Maïga devait faire face au manque de moyens : les stocks de médicaments étaient insuffisants au regard des besoins, et le personnel était bien trop peu nombreux pour que toutes les structures sanitaires de la région restent ouvertes. Mais grâce à l’appui des humanitaire et au dévouement du personnel de santé resté sur place, l’hôpital de Tombouctou et le centre de santé de Diré ont continué à tourner. Le Dr Ibrahima Maïga estime que la population a pu bénéficier de l’essentiel des soins, et il en est fier. « C’est 1,5 million d’âmes qu’on a sauvées », affirme-t-il sans sourciller.
Incompréhension et amertume
Alors quand, après l’opération Serval qui a permis de libérer le Nord du Mali de l’emprise djihadiste, ce praticien s’est vu taxer de complicité, de collaboration avec l’ennemi, il en a été profondément blessé. Encore aujourd’hui, il répète qu’il n’avait de relations avec les islamistes que dans le cadre de ses activités liées à la santé. Il souligne par ailleurs qu’Aqmi n’a jamais eu de bureau ouvert à l’hôpital de Tombouctou, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres villes du Nord comme Gao.
« C’est souvent comme ça, les gens qui restent sont souvent accusés », commente Johanne Sekkenes, la responsable MSF de l’époque. Le Dr Maïga a même eu à subir des menaces physiques. Il a dû être évacué de la région pendant quelque temps, en attendant que les esprits se calment. Une période très difficile à vivre pour lui, et dont il garde une profonde amertume.
Peu de temps après ce que les Maliens appellent « la crise », le Dr Ibrahima Maïga a repris son poste au centre de santé de référence de Tombouctou. Il ne cache pas qu’il aurait aimé être remercié de ses bons et loyaux services, et garder le rôle de coordinateur régional qu’il avait acquis pendant cette rude période : « Tout se passe comme si on n’avait pas existé, on n’est impliqués dans rien », déplore-t-il.
Mais ses critiques se concentrent ailleurs. L’avenir ne sourit pas au Dr Maïga qui ne voit s’allumer aucun signal politique ou sécuritaire encourageant. « Réellement, pour le moment, les perspectives sont très sombres », indique ce médecin qui, en matière d’heures difficiles, a une expérience certaine.
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