« Liberté ». Le terme revient en boucle dans la bouche du Dr Milad Aleid. Que ce soit pour évoquer son « installation en ville après vingt ans d’hôpital », son attachement aux valeurs républicaines ou sa foi en un avenir meilleur.
D’origine syrienne, le cardiologue se bat depuis plusieurs mois pour rapatrier en France une partie de sa famille restée au pays. Un pays aujourd’hui dévasté par un conflit opposant partisans du président Bachar al-Assad, forces rebelles et factions intégristes. Un conflit meurtrier. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), la guerre aurait déjà fait plus de 240 000 morts, dont des proches du médecin sarthois, et contraint à l’exode des millions de civils. Établie au sud du pays, sa famille de confession chrétienne a dû se réfugier dans un quartier de Damas, après la mise à sac de son village durant l’été 2014 : un court sursis, la capitale étant elle-même la cible de pilonnages.
Face à la menace croissante, Milad Aleid recense ses proches, enfants et adultes, candidats au départ et se renseigne pour les faire sortir légalement de Syrie, « en leur évitant une dangereuse traversée de la Méditerranée avec un passeur ». On lui conseille de déposer une demande de visas à l’ambassade de France à Beyrouth. Dont acte en août. « Et j’ai dû attendre décembre pour décrocher un premier entretien… » Les mois passent ensuite sans qu’aucune solution ne se profile. Le médecin alerte alors journalistes, évêque et élus sarthois, pour relayer son appel au secours. Dans le courant de l’été, la mobilisation enfle, publication d’articles de presse et envois de courriers aux ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères à l’appui. Mais toujours en vain. Jusqu’à ce vendredi 2 septembre, où le monde découvre avec effroi le corps sans vie du petit Aylan échoué sur une plage en Turquie.
« Un œil arraché »
Père de trois enfants et expert en cardiologie pédiatrique et congénitale, Milad Aleid le reconnaît avec amertume : « La vague d’émotion suscitée par la photographie a participé à la médiatisation de notre dossier. » À peine dix jours plus tard, un autre événement en rappelle dramatiquement l’urgence : « Un bombardement a fait 11 morts et 76 blessés à Damas. Un de mes neveux a eu l’œil arraché et a reçu des éclats d’obus dans le visage. »
Une frappe de trop pour le médecin qui se fend alors de « quelques mails cinglants aux ministères ». Dès le lendemain, samedi 12 septembre, il reçoit enfin un « accord de principe sur le visa ». Reste désormais à organiser le déplacement des 35 membres de sa famille désireux de gagner la France : « Je serai soulagé uniquement quand ils seront arrivés ici, sains et saufs », lâche le cardiologue.
Ce voyage de Damas à Paris, lui-même l’a entrepris il y a 26 ans. Autre époque, autre contexte. La Syrie n’était pas encore à feu et à sang et le trajet – « financé en partie grâce aux bénéfices de la vente d’un troupeau de moutons, achetés avec mon frère et engrossés pendant tout un printemps ! » – s’était passé sans encombre. Le 23 septembre 1989, le jeune généraliste, formé à Damas et élevé « dans un village à 40 km du premier médecin », débarquait sur le sol français, lesté par sa mère de « quatre énormes valises impossibles à transporter dans le métro ». Il sourit encore de ce décalage, vite compensé par sa volonté d’intégration, à commencer par la langue qu’il apprend en parallèle de sa première année de CAMU à Reims. Ses maigres économies l’astreignent ensuite à chercher du travail. « J’ai envoyé des courriers un peu partout pour trouver un poste. » Le centre hospitalier de Cholet est le premier à lui tendre la main. Une opportunité pour le médecin de changer de région et de se spécialiser en cardiologie : un choix guidé une fois de plus par son sens de la famille. « Plusieurs de mes proches sont décédés prématurément suite à des problèmes aortiques. »
« En quête de paix »
Tout en travaillant, il intègre l’université d’Angers et se forme aux techniques de pointe de l’époque : « L’échographie transœsophagienne, la pause de pacemaker, la coronographie… » Des compétences qui lui ouvrent les portes du centre hospitalier du Mans, où il fait peu à peu son trou, passant « d’un week-end de garde par mois à la prise en charge d’une unité en tant que médecin associé ». Une montée en responsabilité qui ne l’empêche pas de se rendre en Syrie au moins une fois par an pour rendre visite à ses parents. Été après été, il voit la religion gagner du terrain, toutes confessions confondues. « Les jupes se sont rallongées, les chants religieux sont revenus à la mode, tandis que les esprits se radicalisaient de plus en plus. »
Avant l’entrée en guerre du pays en mars 2011, il a donné quelques conférences médicales sur place, histoire de transmettre son savoir-faire à ses compatriotes, lui qui a bénéficié du soutien de ses pairs à son arrivée en France : « Des confrères syriens m’ont aidé et hébergé au départ. » Une fois établi, il a d’ailleurs fait venir à son tour deux de ses neveux, aujourd’hui cardiologues à Saumur et à Tulle. Eux aussi s’apprêtent à recevoir des frères, sœurs, oncles, cousins… en exil. « On s’est dispatché la famille », rapporte Milad Aleid qui, après la liberté, défend une autre valeur de la République : la fraternité. « Il ne faut pas avoir peur de cet afflux de réfugiés en quête de paix, prêche-t-il. Tout en restant vigilant face à l’intégrisme. »
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