A la retraite depuis trois ans, le docteur Jean Denis reçoit toujours chez lui, à Mulsanne, dans son bureau qui a fait office de cabinet de 1977 à 1983. Il avoue y passer encore beaucoup de temps, entouré par des ouvrages scientifiques et des sculptures tribales. Un goût pour les périples au long cours ? Même pas. « Ce sont des souvenirs que l’on m’a ramenés. Je ne suis pas un voyagiste », sourit l’homme qui est revenu s’installer dans la Sarthe, après ses études à Nantes, par amour pour sa femme et son « pays », comme il l’appelle.
Fils de cheminot et d’une institutrice, rien ne le prédestinait à la médecine. « A mon arrivée à la fac, un élève m’a demandé où mon père exerçait. Je lui ai répondu qu’il travaillait à la SNCF. » Le verdict est sans appel : « Ce n’est pas la peine que tu t’inscrives. » Et de lâcher aujourd’hui : « Ça m’a piqué ! » Boursier et studieux, il se fait alors un point d’honneur de briller en cours, même si l’absence de relations lui ferme, dit-il, les portes des conférences d’internat. A défaut, il fait « fonction d’interne » en soins palliatifs, au centre anti-cancéreux de Nantes. « J’y ai appris l’âme humaine et les relations patients-familles. A ce stade, impossible de tricher. »
Diplômé, il entend bien appliquer la même approche à ses consultations. Une visite à l’ordre des médecins et un tour de la Sarthe en 2CV le convainquent de s’installer à Mulsanne, un village de 2 000 habitants, à 15 bornes du Mans. Le 11 février 1975, à l’ouverture de son premier cabinet, dans un local octroyé par la mairie et repeint par ses soins, il est accueilli par une queue de 15 personnes. « Et puis tout s’est emballé. » Il enchaîne les journées de 16 heures, avec des gardes le week-end, en alternance avec ses confrères du coin : « Je commençais à 7h et je finissais à 23h. A l’époque, on faisait des accouchements, des coutures… Je m’appliquais à être à l’heure, sans entrer dans une logique de comptage ou comment faire vite en donnant l’impression d’avoir du temps. »
Médecine relationnelle
Dans ce territoire semi-rural, il apprend à lire entre les lignes. « Je ne vois plus ! », lui avoue une femme en consultation. L’examen visuel et le fond d’œil ne révèlent aucune anomalie. Au fil de la discussion, il finit par comprendre que la patiente parle à mots cachés de… ses règles. Avec le temps, il découvre aussi l’univers des « guérisseurs » et autres « toucheurs », sollicités en relais (voire en palliatifs) à la médecine. Une pratique alternative qui l’intrigue. Pour comprendre, il en rencontre un premier, qui procède par « prières », et va même jusqu’à observer un second en consultation dans sa caravane. « C’est une forme d’hypnose. Ils agissent par suggestion, avec un atout majeur sur le corps médical : la force de leurs convictions. Les guérisseurs ont foi dans leur pouvoir et les patients, une confiance absolue dans leurs capacités. »
Un constat qui le conforte dans sa vision d’une médecine relationnelle : « En définitive, les gens attendent qu’on les écoute et qu’on les entende dans leur souffrance, physique ou morale. » C'est fort de ce précepte qu'il se forme à l’homéopathie, dont il a pu observer, assure-t-il, les résultats probants sur certains patients. « Cela nécessite de circonscrire la douleur, en posant les bonnes questions et en allant à la rencontre des gens pour définir ce qu’ils sont vraiment. »
Dans la foulée, il se forme ensuite à la sophrologie sur les conseils d’une collègue. Pas question toutefois de systématiser la pratique à laquelle il consacre seulement un après-midi par semaine. En 1995, de passage à l’hôpital Lariboisière à Paris, il entend parler de l’hypnose et de son efficacité dans la gestion de la douleur. Durant deux ans, il suit un atelier d’initiation au rythme d’une réunion tous les mois : une révélation. « C’est plus puissant que la sophrologie, avec des séances moins longues, 20 minutes au lieu d’une heure. » Là encore, il y a recours ponctuellement, « à chaque fois que je sentais des émotions dans la pathologie ». Autant de thérapeutiques - « pas tout à fait académiques » - qui renforcent encore sa réputation de médecin atypique, sans dogme ni cravate.
Communication infra-verbale
En parallèle, Jean Denis s’investit dans la communauté locale. En 1976, il lance un centre aéré pour les enfants du village, puis participe à la vie associative, préside le comité de jumelage Mulsanne-Nettleham en Angleterre, anime un atelier de sophrologie au centre socio-culturel… Un jour, il découvre sa fille aînée, future pédopsychiatre alors âgée de 13 ans, dans sa salle d’attente : « Vu qu’on ne peut pas te parler à la maison, je viens te voir au travail », lui assène-t-elle. En 1993, un infarctus le met hors circuit quelques mois : « Cela m’a permis de remettre les pendules à l’heure », glisse le généraliste qui se décide, à contrecœur, à prendre sa retraite fin 2014.
Mais la trêve est de courte durée. Quatre mois plus tard, il rempile au service Dermatologie du centre hospitalier du Mans (voir encadré), où il assure une consultation d’hypnose, à raison d’une vacation d’une demi-journée par semaine : « une reconnaissance institutionnelle qui offre une crédibilité médicale à la méthode ». Le résultat d’un lent travail d’acculturation aussi. Longtemps isolé dans sa pratique, Jean Denis reçoit en 2012 un appel d’un anesthésiste hospitalier, également hypnotiseur. Une association, Hypnotic’Mans, est bientôt fondée pour fédérer ses adeptes à l’échelle du département. « Je sens que les lignes commencent à bouger », estime ce fan de gospel, convaincu par l’efficacité de cette « communication infra-verbale », conforme à son objectif professionnel : « Rendre service aux autres ». A 71 ans, Jean Denis a toujours foi en cet « idéal de médecine ».
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