« Bien que les e-cigarettes éliminent certaines morbidités associées au tabagisme, ce sont des dispositifs délivrant de la nicotine », soulignent le Dr Eric Kandel, neuropsychiatre et lauréat du prix Nobel (2000) pour ses travaux sur la mémoire, et le Dr Denise Kandel, son épouse et psychiatre a la Columbia University. Or les études épidémiologiques ont montré que l’exposition à la nicotine crée une passerelle vers l’usage de la marijuana et de la cocaïne.
Dans leur article publié à l’occasion du 200e anniversaire du NEJM, et présenté au meeting annuel de la Massachusetts Medical Society, les chercheurs expliquent cette hypothèse développée dès 1975 par Denise Kandel lorsqu’elle découvrit que les jeunes s’adonnent aux drogues par paliers, selon une séquence bien définie, en commençant par une drogue légale avant de passer à des drogues illégales. Plus précisément, la consommation de tabac ou d’alcool précède la consommation de marijuana, qui a son tour précède la consommation de cocaïne et d’autres drogues illicites.
Validé sur un modèle murin
Les derniers travaux ultérieurs viennent de valider l’hypothèse de la passerelle dans le modèle souris. Et révéler comment la nicotine sensibilise le cerveau aux effets de la cocaïne. L’exposition des souris à la nicotine pendant 7 jours altère leur cerveau biochimiquement, en augmentant l’acétylation des histones dans le striatum via l’inhibition des histones désacétylases, modifiant ainsi la structure de l’ADN. Ces changements activent un gène lié à la récompense et l’addiction, le gène FosB, et augmentent ainsi l’expression FosB. Lorsque les souris, préalablement exposées à la nicotine, reçoivent une dose concomitante de cocaïne, elles montrent une augmentation supplémentaire de l’expression FosB par rapport aux souris ayant reçu seulement de la cocaïne. L’effet de sensibilisation de la nicotine ne survient que lorsque les souris sont exposées dans la même journée à la cocaïne et la nicotine, et après exposition répétée à la nicotine (7 jours versus 1 jour). Ces études épidémiologiques et biologiques ont donc permis aux chercheurs de développer un modèle de l’action de la nicotine comme une drogue passerelle. Il reste à savoir si le même mécanisme d’hyperacétylation explique aussi les effets « passerelle » de l’alcool et de la marijuana.
Prévenir, surtout chez les jeunes
Pour les Drs Eric et Denise Kandel, ces découvertes sur la nicotine peuvent contribuer au débat actuel sur les e-cigarettes, promues à la base comme une aide pour le sevrage tabagique et réduire les effets néfastes du tabagisme dans la population. « Les e-cigarettes exercent les mêmes effets sur le cerveau que ceux rapportés ici pour la nicotine… et posent le même risque d’addiction aux autres drogues », estiment-ils. « Notre société doit se préoccuper de l’effet des e-cigarettes sur le cerveau, en particulier chez les jeunes, et de la possibilité de créer une nouvelle génération de personnes dépendantes à la nicotine », ajoutent-ils. « Il est impossible de savoir si les e-cigarettes sont une passerelle pour le tabagisme et les drogues illicites, mais c’est clairement une possibilité ».
Les chercheurs en appellent donc à développer des programmes de prévention plus efficaces pour tous les produits contenant de la nicotine, en particulier des programmes ciblant les jeunes.
NEJM, septembre 2014, Eric Kandel et Denise Kandel, Shattuck Lecture
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